Nano Peylet et Denis Cuniot aiment la musique Klezmer, la musique Hassidique….intensément.
Ils aiment la beauté de ces mélodies les possibilités d’expressions et les sonorités stupéfiantes de la clarinette puisées dans cette tradition musicale.
Mais ils aiment aussi que d’autres partagent leur ferveur. Ils aiment que des gens n’appartenant pas à la communauté juive d’Europe Centrale soient sensibles, heureux à l’écoute de cette musique.
D’ailleurs, est-il sûr qu’ils soient juifs eux-mêmes ?
Ils découvrent, redécouvrent cette culture musicale. Avec passion, avec humour, avec bien des transgressions aussi consacrant une partie de leurs activités musicales à travailler, à faire entendre la musique des Klezmorim et de leurs filiations.
Pour longtemps………tranquillement.
Mais ils entendent aussi défendre cette réelle culture musicale, au plus profond, en évitant. grâce à une instrumentation "iconoclaste" une écoute par trop « folkloriste ».
La musique d’abord !
Résiste-t-elle à une instrumentation de musique de chambre, musique savante pour piano, clarinette, là où existaient des fanfares, des violons, des cuivres ?
Nano Peylet et Denis Cuniot rêvent que la musique Klezmer devienne une source d’inspiration, d’invention, d’improvisation pour de nombreux musiciens à travers le monde... de véritables « standard » en quelque sorte……… comme le jazz. Car, comme le jazz, la musique Klezmer est le produit d’une fusion de plusieurs cultures.
En effet. les rythmes utilisés par les musiciens Klezmer sont le plus souvent les rythmes des musiques traditionnelles populaires des pays où les communautés juives étalent installées : en particulier rythmes de Roumanie, d’Ukraine qui n’ont rien de spécifiquement juif ; en revanche, les mélodies construites sur ces rythmes sont toutes différentes des mélodies traditionnelles bulgares, roumaines ou russes ; elles portent la marque, l’esprit du peuple juif et sont immédiatement reconnaissables. Elles se sont constituées, elles aussi, par la fusion de diverses sources d’inspiration mélodique : modes chantés de la synagogue, nombreuses inflexions orientales et aussi bien sûr influence mélodique des musiques des pays traversés.
Les musiciens Klezmer excellaient dans l’invention des mélodies Au 19e siècle, musiciens populaires, autodidactes, jouant sans partition, animaient les mariages et étaient capables de jouer plusieurs jours de suite des airs différents et d’inventer une mélodie pour chacun des invités. Pauvres, se situant au bas de l’échelle sociale, y compris dans la hiérarchie des musiciens, ils rythmaient la vie des communautés, se déplaçant de villages en villages, de schtetls en schtetls, de villes en villes, de pays en pays, ils enrichissaient leur langage musical. intégrant des éléments musicaux de divers pays, accueillant parfois au sein de leurs orchestres, des musiciens extérieurs à la communauté en particulier des tziganes.
C’est ainsi qu’ils créèrent la musique populaire juive d’Europe centrale.
Puis, I’histoire est passée, et avec leur existence, leurs pratiques musicales se sont transformées.
Au début du siècle et autour de la première guerre mondiale, une grande vague d’immigration amena aux Etats-Unis de nombreux musiciens Klezmer Ils commencèrent à enregistrer des disques (autour de 1961). Ce n’est qu’alors que la clarinette devint un instrument soliste, Des clarinettistes virtuoses comme Nafthaly Brandwin, puis Dave Tarras lui donnèrent son caractère réellement spécifique. Par la suite, l’intérêt pour les orchestres de Klezmorim déclina petit à petit aux Etat-Unis. La communauté elle-même préféra des chansons sentimentales ou des chants religieux car n’oublions pas, que la musique Klezmer est purement instrumentale !
Dans le même temps, les Klezmorim s’intégrèrent aux orchestres et à la musique américaine Ils apportèrent beaucoup à ces groupes musicaux (en témoignent certains « accents » chez Gershwin notamment) et en retour, les musiques populaires américaines transformèrent les orchestres Klezmorim. Enfin, dans les années 40, les enregistrements se firent de plus en plus rares.
En Europe, nous savons et ne pouvons oublier ce que fut ce siècle pour le peuple juif. Avec la disparition des Schtetl, la musique Klezmer n’a donc plus la présence sociale, quotidienne qui fut initialement la sienne. Mais elle reste toujours d’une beauté musicale et émotionnelle magique.
Elle revit aujourd’hui grâce à des orchestres américains comme les Kapelye de New York, les Klezmorim de Berkeley, le Klezmer Conservatory Band de Boston Cambridge, grâce aussi à Andy Statman (qui fut élève de Dave Tarras), Giora Feidman (qui appartient à la quatrième génération des musiciens Klezmer), Tedy Lasry, Edoy Schafirovitch.... c’est beaucoup…. c’est peu.
Le duo Peylet Cuniot aime ce courant et y participe, tout en cherchant des développements plus créatifs.
Ecoutez cette musique qui pleure, qui rit, qui chante, qui danse, et qui transcende les barrières ethniques.
Que vive donc la Musique Klezmer, mémoire d’un peuple !
Ketouba pour Klezmorim
Les Klezmorim étaient ces musiciens juifs qui jouaient pour des mariages, noces et banquets La Ketouba est le contrat de ces mariages traditionnels. C’est un parchemin enluminé de miniatures ornementales et calligraphiques non figuratives, qui enrichit le traité. La tradition de la Kétouba se meurt le mariage survit.
Les descendants de ces traditions sont ici deux musiciens et un calligraphe Attachés avec autant d’humour que d’émotion à ces mélodies simples et enluminées, à ces manuscrits dorés et mélodieux, ils veulent perpétuer une tradition de la seule manière qui vaille par la réinvention, et non pas en gardiens de temples auxquels du reste ils ne croient pas.
Nano Peylet à la clarinette et Denis Cuniot au piano respectent et transgressent la tradition. Quel musicien juif ambulant aurait déambulé avec un piano ? Et quel clarinettiste de "Schtetl" se serait permis ces improvisations, ouvertures aux audaces les plus contemporaines, ou au jazz ? Les descendants des Klezmorim ont appris le solfège, et entendu d’autres musiques : ils ne peuvent ni ne veulent faire semblant de restituer - avec une fausse naïveté de vrais faussaires - la musique d’un groupe social qui n’est plus d’ici ni de maintenant : ils la recréent, lui insufflent un son parfois presque "classique’, parfois presque « jazz », lui offrant cette forme supérieure de la fidélité qu’est le don de soi détendu, tragique ou rieur sans complexe. Le Nigun n’est plus celui que mon père me chantait, au bord du sommeil de mon enfance, qui n’était déjà plus le même que...... Mais rarement interprétation du Nigun ne m’a paru aussi authentique que celle du duo qui me donne à entendre son actualité, sa modernité, sa charge émotionnelle inchangée, sa beauté d’hier et d’aujourd’hui son classicisme. Bref, il ne s’agit pas ici de conservatoire, mais d’alchimie.
Laurent Berman a dessiné et peint cette Kétouba comme il a peint d’autres Ketouboth pour des épousailles peu religieuses, mais sacrées, entre une tradition et un devenir ; l’artiste dessine ici un contrat sacré laïc et son travail nous pose la même question que nous posent les deux musiciens : peut-on introduire le sacré dans le civil ? Peut-on jouer avec la tradition ? Mais peut-on inventer sans cette insolence tranquille qui consiste à s’approprier une tradition ? Et cette insolence est-elle autre chose que le respect porté à une mémoire qu’il faut intérioriser pour la transmettre, qu’il faut transmuter, métamorphoser….. Encore l’alchimie.
Impertinence dernière : un contrat de mariage pour un duo….. Comment ne pas penser à trois autres glorieux impertinents, les Marx Brothers, ces casseurs d’images pétris de tendresse et amoureux du trait juste, poètes culottés ? La question à elle seule est déjà du bonheur La réponse que nous donne cet enregistrement participe de la même jubilation
Anne Quesemand